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Le chemin creux
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31 juillet 2008

Espérance

Ma chère M.,

Comme c’est étrange, l’esprit. Sa logique qu’on croit inconsciente, les méandres qu’il emprunte pour se frayer un chemin jusqu’à la surface et se traduire en mots, en images, en sons… Voilà deux fois que je saisis ma plume pour t’écrire enfin, répondre à ce renversant message que tu m’as envoyé, la première s’est limitée à l’écriture d’un simple mot vite oublié au gré des jours un peu tempétueux que je traverse. Et ce soir, après une nouvelle vague de doute sur les 20 ans qui viennent de s’écouler, sur des choix que je ne peux effacer, sur l’orientation que je veux donner maintenant à ma vie, me voilà riant à perdre haleine, l’immense fatigue balayée, toutes larmes séchées, devant la prose hilarante d’un homme qui a l’art de m’amuser tout en me faisant faire parfois des mines délicates de bourgeoise guindée. Et ce peu avouable catalyseur me pousse irrésistiblement vers mon clavier et mes doigts qui courent dans l’urgence recomposent alors ce même mot. J’y renonce, il n’est point temps de convoquer Freud et sa clique au chevet de ma tête folle.

Avant de poursuivre, je dois tout de même éclaircir le mystère que tu as cru déceler : non, ma chère, pas d’espérance pour moi, ce temps-là est passé, et passé le temps où je m’en lamentais. Je sais - raisonnablement - que si l’envie reste viscéralement enfouie, et nous sommes bien là au plus littéral du terme, dans la réalité des choses je ne le souhaite plus. Je n’en aurais plus la force, mon corps ne me le permettrait d’ailleurs plus je crois, et je sais qu’il est temps pour moi désormais d’explorer d’autres chemins. Et puis cette page est encore bien loin d’être tournée, ma petite demoiselle se chargeant de me rappeler chaque jour et pour encore longtemps que mon rôle de maman reste à réinventer.

Non, si la coïncidence dont je parlais m’a amusée, elle est bien plus prosaïque. En préparant mon paquet, j’ai repensé à la timide demande que tu m’avais faite il y a quelques mois et j’ai eu envie de joindre ces petits bracelets que je te destine. Et puis j’hésitais, n’était-ce pas prématuré, est-ce que je n’allais pas te peiner inutilement ? Alors j’ai glissé un autre petit présent, moins symbolique, que tu découvriras demain je pense si la Poste fait son travail dans les délais prévus. Pour le reste, nous en reparlerons le moment venu.

Le terrain étant bien déblayé, je peux maintenant en venir à la raison première de cette lettre. Comment te dire le plaisir que m’a fait ton aveu ? Je savais que la décision était prise déjà puisque tu me l’avais dit en confidence, et je savais qu’un jour viendrait où tu révèlerais enfin que l’attente avait commencé. Comme tu m’as amusée avec tes siestes automobiles ! Et comme je me suis étonnée, une fois de plus, de la prescience des enfants… Et la jolie formule dont tu uses pour décrire cet alanguissement du corps qui s’enroule et se suspend à la vie minuscule et obstinée qui s’y abrite. La douce nouvelle que tu m’as offerte là, si tu savais ! C’est ainsi que je sais que j’ai dépassé la tristesse du ventre vide à jamais, de la maternité désormais interdite, puisque je peux éprouver une joie sincère à l’annonce d’une naissance. Et puis les idées se bousculent, beau prétexte à l’apprentissage et aux expériences, et tu vas devoir, je le crains, supporter d’envahissantes propositions… Mais aussi, c’est terrible, tout est si tentant, les laines si douces, les vêtements si petits qu’ils tiendraient presque dans la main refermée, les étoffes anciennes dans lesquelles on retaille de nouveaux habits… Si je calcule bien, j’aurai un grand bout d’hiver pour fabriquer ce que le repos de l’été m’aura soufflé, sauf bien sûr si tu as des envies précises ? Peut-être l’as-tu déjà constaté, je suis d’une nature d’écureuil, j’entasse et j’amasse à la folie et ce que je nomme encore assez pompeusement mon atelier (qui ressemble pour l’heure à une remise de brocanteur ma foi assez poussiéreuse) regorge littéralement de laines, tissus, rubans, dentelles et boutons anciens et autres petits trésors, telle une terre riche offrant d’infinies possibilités de moisson. J’ai également trouvé au fil des brocantes des lots de brassières bordées de fins picots, des bavoirs aux dentelles miraculeusement conservées, des draps qui ne demandent qu’à caresser une joue veloutée dans un petit berceau. Mon mari est un sage, qui m’a dit un jour que nous ne serions plus les parents d’un nouvel enfant mais que les enfants de nos enfants nous feraient découvrir un autre rôle bien doux. Il avait raison, même si ce jour-là j’ai beaucoup renâclé à le suivre sur un chemin qui me paraissait tristement raisonnable. Ce soir, même si récemment on m’a par deux fois demandé si mon fils aîné était mon frère (je devrais sûrement m’en enorgueillir, je ne fais que m’en amuser), je me sens l’âme d’une grand-mère et je savoure par anticipation les mois qui viennent.

Après tous ces mots joyeusement égoïstes, je veux quand même prendre un ton docte pour te dire de prendre soin de toi. Écoute-toi sans chercher à comprendre, obéis aux sensations sans te rebeller, délaisse l’intellect pour te laisser bercer par le ressac silencieux de la mer intérieure qui protège ton petit, laisse-toi ce temps éternel et magnifique de l’attente…

Je t’embrasse très affectueusement, donne-moi vite de vos nouvelles.

v.

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Commentaires
N
J'aime ouvrir ta fenètre, te lire, apprendre à te connaitre.
A
Comme ta plume est grâcieuse !
L
Comme souvent lorsque je lis tes lettres, une émotion douce-amère s'empare de moi pendant quelques instants et me plonge dans une rêverie et des pensées qui m'accompagnent bien après la fin de ma lecture...Bises
M
je suis encore une fois sous le charme de votre plume...et émue aussi: renoncer à la maternité est un long chemin que je ne me suis pas encore décidée à emprunter ;-)
L
Moi aussi je suis troublée et émue par cette douce lettre pleine de promessses, de regrets aussi, d'espoirs enfin...<br /> Je vais la relire... comme on savoure un bonbon ancien.
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