Droit de réponse
Chère madame L.,
J’entends vos doux reproches et n’ai aucune objection imparable, aucune défense solidement étayée à leur opposer. Je vous avais promis, il est vrai, une relation détaillée de nos vacances, de ce triangle que nous avons dessiné sur la carte à grands tours de roue, et puis le temps a passé et c’est déjà l’automne ici, comme chez vous sans doute. C’est une saison que j’aime avec passion et cette douce mélancolie du jour qui rétrécit, insensiblement, comme un animal frissonnant, m’enchante à l’infini. Le marron de l’année, petit talisman traditionnel, a été ramassé non loin de la maison, dans le petit parc délicieusement désuet où les amoureux se cachent du regard pâli des anciens. Me voilà donc munie de mon premier rempart à l’hiver.
J’attends également avec une chatouilleuse impatience de recevoir le présent que vous avez cousu pour ma petite demoiselle. J’avais beaucoup admiré ces délicats petits sacs (délicats et ravissants, oui, quoi que vous en disiez) et remarqué, une fois de plus, que vous portez la même attention que moi à l’apparence des objets, qu’ils appartiennent au quotidien le plus trivial ou qu’ils symbolisent quelque occasion plus notable. En aurais-je entendu, de ces remarques lassées sur ma quête jamais satisfaite ! À vous, j’avouerai tout de même qu’elle confine parfois à l’obsession la plus authentique… Je me suis cependant apprivoisée moi-même, au fil des quatre décennies que je compte (et je vous fais grâce de la prochaine échéance, rappelez-vous bien, jeune femme, que vous me devez le respect et la considération dus à mon grand âge !), et voilà beau temps que j’ai cessé mes combats intimes contre cette irrésistible propension. Après tout, serais-je blonde et grande que je n’y pourrais rien, n’est-ce pas ? Comme je vous entends déjà me sourire une réponse malicieuse comme vous savez les faire, je rajouterai à la phrase précédente que la Nature m’a pourvue comme elle l’entendait, et qu’aucun moyen naturel ne défera son œuvre. M’insurger ? Fi donc, quelle présomption…Je me plie humblement donc à ses injonctions et tais soigneusement, à moins d’être en identique compagnie, le plaisir infini que m’inspire cette chasse au trésor.
Ma chère amie, le temps me fait défaut ce matin pour la correspondance, malgré le plaisir que j’y prends, soyez un peu patiente encore s’il vous plaît, je vous promets que la petite escapade normande de la semaine prochaine me rendra plus assidue. L’endroit est d’une simplicité magnifique, vous l’adoreriez, tout comme vous tomberiez sous le charme de ces Anglais délicieux rencontrés il y a deux ans. Et je me prends à y imaginer nos deux familles réunies pour quelques jours de vacances hors du temps, entre la douceur du bocage et la solennité tranquille des plages du Débarquement…
Votre très affectueuse,
Madame A.