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Le chemin creux
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27 février 2008

Natures humaines

Ma chère M.,

Eh bien, en voilà une tempête pour quelques fleurs que tu n’as même pas ramenées ! Connais-tu ce mot charmant dont les anglais désignent ces débordements (à grand renfort de h aspirés, comme il se doit) ? Le son même en est joliment évocateur… Quel hoo-ha, donc ! Et toi, douce ingénue qui ne voyais rien venir sur le sentier qui poudroyait, mais que croyais-tu donc ? Les occasions de voir l’humain sous ses jours les moins flatteurs ne t’ont pas manqué, pourtant. La pilule n’en est pas moins amère, je le sais, et elle est surtout fort inattendue. Mais quelle joie, aussi, de déboulonner l’idole, de se dire qu’elle avait finalement des pieds d’argile et de prendre un sombre plaisir à donner un autre coup, là, dans ce coin encore intact, juste pour être sûr que la leçon est bien comprise. Quel entrain à détruire méthodiquement ce que l’on encensait la veille encore ! Quelle insupportable arrogance de savoir mieux que toi ce que tu penses ! Et celle-ci, donc, à te jeter en plein visage tout le fiel qu’elle accumule patiemment depuis la naissance de M. et à te dire tout uniment qu’elle te lit régulièrement (quelle bonté d’âme, quelle abnégation) mais que vraiment, là, tu passes les bornes de la décence ! Je te dirais bien que je n’ai pas assez d’épaules à hausser, mais je serais encore bien en-deçà de ce que m’inspire toute cette âcreté. Je m’en suis allée faire un tour chez elle, pensant y trouver des échos de son juste courroux. J’en ai été pour mes frais et suis repartie bien vite, emplie de ce vague écoeurement qui me vient toujours devant l’auto-satisfaction vertueuse. Mais tout n’est pas perdu, si tu m’en crois, il faut bien puiser son « inspiration » quelque part et tremper ce que l’on nomme bien indûment sa plume dans l’ordure nécessite quelque délai, tu en conviendras.

Bref, je te répète ce que tu sais déjà, il ne faut point trop donner qu’on te reprochera quelque jour… Et celles-là même qui s’arrogent l’insupportable droit de te condamner sans même avoir compris ton sentiment te mendieront, et avant qu’il soit tard, quelque dédicace dont elles se glorifieront. Il paraît donc que l’être humain ne cessera jamais de m’étonner, et sans les fort jolies rencontres que j’ai faites au hasard du chemin je deviendrais résolument misanthrope, tu peux m’en croire.

Alors que je t’écris, mon regard tombe sur le buste que tu connais (les garçons ont déménagé leur bureau et j’ai investi la place sans tarder, je t’écris donc au rez-de-chaussée) et l’envie me prend de lui sourire en retour. Cette petite connivence secrète avec les objets qui nous entourent, je la goûte chaque jour avec le même plaisir, et en les caressant au passage je retrouve en aveugle des parfums oubliés. Le temps n’est pourtant pas à la gaieté printanière, le soleil qui baignait la chambre ce matin s’est drapé de nuages et le ciel est redevenu de ce blanc de deuil que je fuis. L’air a encore sa trame d’hiver, même si des fils plus doux viennent peu à peu s’y mêler, laissant espérer un été plus clément que l’année passée. Ces temps-ci, les gens expriment leur attente éperdue de températures plus clémentes par une fatigue qui ne cède devant aucun repos. Bizarrement, j’éprouve tout le contraire et  malgré un rhume qui s’éternise, je retrouve une énergie que je croyais perdue. C’est heureux d’ailleurs, car les vacances qui viennent de commencer chez nous ont ramené à la maison mes trois oiseaux et mes journées ne me laissent guère le loisir de rêvasser. Et puis je couds sans relâche, la date fatidique arrive à grands pas et les quelques jours qui me restent ne seront pas de trop. Mais aussi quel plaisir ces préparatifs, ces petits présents qui s’amoncellent dans mon atelier ! L. s’étonne doucement de me voir faire, sans bien comprendre qui est cette petite fille pour qui je m’active et surtout sans réaliser qu’elle aussi va recevoir des surprises. Dieu sait qu’elle n’est guère privée pourtant, mais elle accueille chaque présent, aussi menu soit-il, avec un plaisir sincère et joyeux qui m’enchante. Je crois aussi qu’elle s’amuse beaucoup de voir les choses se transformer sous ses yeux, la laine qui s’allonge en écharpe, le joli tissu fleuri qui devient une robe, le grand drap ancien qui rapetisse pour venir envelopper sa petite couette. Cette magie fait partie de sa vie et je redoute déjà le moment où elle devra comprendre que les grands ne peuvent pas tout. Pour l’instant, elle est emplie d’une confiance absolue et le refus la désole ou l’irrite selon son humeur, qu’elle a changeante… Ce que tu dis de tes filles résonne étrangement, je me disais hier que pour l’instant, rien ne s’interpose entre elle et moi, elle se livre avec toute la fougue, toute la confiance de l’enfance. Ces moments sont précieux, j’en ai une conscience plus aiguë qu’avec ses frères, comme je ressens avec plus d’acuité sans doute ses chagrins et ses emportements. Cette féminité, cette transmission quasi-alchimique, je les interroge souvent et ce reflet, unique mais étrangement familier, a quelque chose de grisant.

Le ciel semble toujours aussi clair et pourtant la pièce s’assombrit peu à peu, les échos de la Lettre à Elise m’arrivent depuis le petit salon, la soirée s’annonce doucement. Je dois te quitter pour aujourd’hui, prends soin de toi.

Je t’embrasse,

V.

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Commentaires
C
Que vos lettres sont belles !!!<br /> j'entends la plume accrocher de temps à autre la feuille...<br /> et comme c'est élégant de les poster d'ici...<br /> ... merci de nous laisser être indicrètes, et profiter de vos écrits...
S
et toc!
M
oui klère ! contes zen -"le conte de l'empereur" - "je vais descendre à la riviere laver mes oreilles souillées par vos paroles !"
S
toute cette méchanceté déversée et remise maintes et maintes fois au cas où la cible n'aurait pas été atteinte...<br /> tristesse.
K
Un conte japonais raconte quand dans de telles situations, il faut vite courir à la rivière se laver les oreilles...ou les yeux, salis par tant de paroles. Madame L. ne devrait pas perdre une minute !<br /> L'Humain me fascine autant qu'il me désole...d'ailleurs, le plus souvent, il me désole. <br /> Pardonnez-leur, il ne savent pas ce qu'ils font.
Le chemin creux
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